Les idées mauves

Je m’sens si laide ce soir, si laide, je ne suis pas une belle fille et je ne l’ai jamais été même pas un peu un moment jamais

F. n’a jamais voulu de moi non plus et ne voudra jamais de moi je suis une femme froide une femme frigide une femme de congélateur je ne touche rien et mes doigts sont bleus je suis maigre et laide 

les gens qui ne s’aiment pas et qui n’aiment pas l’amour n’attirent que les gens qui ne s’aiment pas et qui n’aiment pas l’amour et c’est cette affection frelatée qui se partage 

mais ce qui se partageait ce soir entre F. et C. était doux comme un nid de rouge-gorges et les flocons étaient des confettis et je voyais infrarouge à travers leurs corps une chaleur irradiait prenante levait vers le plafond pendant qu’un frisson me traversait j’ai pensé à S. qui se croyait seule et triste un moment je savais que je n’étais pas mieux qu’elle même si sa désespérance m’écoeure me pue au nez moi aussi j’ai mal moi aussi je saigne du dedans mais je ferme ma gueule je vais pas pleurer partout sur les murs j’implose en moi je referme le sac et puis c’est tout. 

* * *

En relisant ces vieilles lettres les émotions m’avalent encore, ce sont des blessures qui existent toujours, qui n’ont pas produit de galles, la peau demeure à l’état de la brûlure, même dix ans plus tard. Je n’imagine pas qu’un jour la douleur sera différente. J’apprends en vieillissant que certains maux ne partiront pas, comme un prix à payer en échange de l’amour vrai. Mais j’ai dilapidé toutes mes économies, et mes poches ne recèlent aujourd’hui que de la fatigue. 

Avoir des idées mauves. 

Est-ce que des fois

Ma mère chantait toujours la la la
une vieille chanson d’amour que je te chante à mon tour 

Ma fille tu grandiras et puis tu t’en iras 

Et un beau tu te souviendras à ton tour 

de cette chanson là

Et un beau jour tu la chanteras à ton tour
en souvenir de moi 

Suis-je profondément mélancolique ou profondément joyeuse j’ai tellement de mal à me balancer entre les deux.
Tu sais parfois j’ai le goût du sang et c’est tout. J’imagine une lame plonger en moi et j’imagine une satisfaction. J’imagine la beauté de la couleur du sang, j’imagine sa chaleur enveloppante. 

 Est-ce que des fois toi aussi tu temets à te questionner, à te dire que c’était toi la folle, que c’était toi depuis le début, est-ce que des fois tu penses avoir une grande idéation, que tu te mets à réfléchir, tout à coup tu es la plus grande manipulatrice du monde, tu es impatiente, tu juges les gens, t’es juste pas une bonne personne, depuis le début dans le fond, parce que mes premières amies j’y pense et je les aimais juste parce qu’elles m’aimaient, preuve de personnalité narcissique, tes amies c’était tes amies parce que tu pouvais les manipuler, tu étais plus fortes qu’elles, tu les dominais tes amies, elles t’admiraient, elles ne te comprenaient pas, elles étaient pas assez bien pour toi, pour toi la fille incomprise. Et puis tu te rends compte que la mauvaise personne depuis le début c’était toi, et c’est toi qui l’a rendu fou, et c’est toi qui l’a poussé à la violence, et depuis que tu l’as vu tu te dis que tu es brisé à cause de lui, mais c’est des excuses, et c’est ta faute depuis le début, c’est ce que tu es dans ton coeur et ça ne changera jamais. Tu es une mauvaise personne. Tu n’as jamais aimé. Tu es seule au monde. Est-ce que des fois tu te dis ça?  

1096, route de l’Église Québec ( QC ) G1V 3V9

1 kilo de plus. 2.2 livres. Apparement ça ne m’en prenait pas plus pour avoir à nouveau besoin de mon fix de sang
t’as jamais vu une fille démonter un rasoir avec une telle avidité
un tel appétit
(je sais pas si les vampires font ça aussi quand ils ont trop faim)
Des enfantillages des pacotilles des niaiseries
je sais plus combien de fois on me l’a dit
en langage codé
que ma douleur était de la marde
Que je devrais perdre mon temps à être heureuse
au lieu de
perdre mon temps à faire de mon corps un martyr
Mon corps est plus fort que le tien
Mon corps a survécu tellement d’incisions
de faim
de vapeurs d’alcools de psychotropes
d’amants nonchalants
Mon corps me sait masochiste
Il est patient
il est bien plus grand que moi
bien plus fort que moi
Il fait les pas; je le suis, je traîne derrière
Mais nous avançons

doucement.

enfances

Et depuis longtemps perdu, voilà que me revient le parfum de mes jeunes étés, les lilas et les rosiers sauvages, les trèfles en scintillement las sous le soleil de dix heure. L’air déjà moite.
Me revient ces rêves et ces histoires, devenir capitaine, devenir guerrière, devenir espionne, ne pas sentir le poids du temps, exister au milieu de rien, étaler ses heures dans l’infinité des mois de vacances scolaires. Habiter en dehors des hommes, croire à l’immortalité de son innocence.

Il faut tout écrire, tout se rappeler. Ne pas se rompre au désir de l’éphémère.

Mes pas me devancent toujours. Ils savent mieux que moi où je vais. Ils connaissent mes sentes, les courbes de tous mes méandres. Ils savent mieux que moi
que je ne vais nulle part. Tout est là, sous la peinture opaque du temps, tous les graffitis au crayon permanent, tous les hasards temporels.

 

Mes rêves la nuit sont mêlés au reste du temps. Mon être est tentaculaire
Dans la nuit mes yeux fermés sentent
ses gesticulations vaines
*Il faut n’écrire que pour soi.
– L’écriture m’aide à vivre, à mieux voir (Marie Uguay)*
(Une image ; arriver dans le Maine et s’asseoir devant l’immensité.)

 

 

Il faut tout écrire, tout se rappeler. Ne pas se rompre au désir de l’éphémère.

Tout est là, sous la peinture opaque du temps, tous les graffitis au crayon permanent, tous les hasards temporels. Mes rêves la nuit sont mêlés au reste du temps.

Je connais trop cette ville
Je reconnais tout ses visages
sur les trottoirs
les autobus
en transit
dans les corridors de tous les mégacentres
vivre c’est se transporter d’une dépense inutile à une autre.
Les filles sont belles mais pas moi.
Les filles sont belles amis pas moi
Les filles sont belles mais pas moi.

Crucifiez ma carcasse
devant l’autel du Wal-Mart
Arrachez mes ongles un à un
et vendez-les à rabais
entre deux rangées de vernis bon marché.

Quand je ferme les yeux je suis dans ma chambre d’adolescente dans le sous-sol chez mes parents,
je suis dans ma chambre d’adolescente et ma mère est là pour me dire que ça pue le vomi et ça la bouleverse complètement et moi ça m’irrite, ça me fâche, parce que je veux vomir si l’envie m’en prend et je ne veux pas lui faire de peine.

Je voudrais m’étaler au delà
bien plus loin qu’aux limites du territoire de mes rêves.
Je regarde une vidéo de patinage artistique en couple et je m’émeus
Je regarde une vidéo d’une femme qui prépare le saumon de façon traditionnelle et il me semble que l’odeur se rend jusqu’à moi
Je voudrais me rendre tellement plus loin

Je reviens dans le monde des oiseaux
prend le trottoir ensoleillé
Je ne me rend nulle part

Ta faim.

Et je me promets et je le sais, que je ne deviendrai plus jamais l’une de ces anorexiques écervelées, remplies au déni chaque matin, midi, et soir, les cheveux courts comme si ça se devait d’être subtil, je sais pertinemment ce que je fais. Je reste plus qu’une ombre, que ces entités vaporeuses et hagardes, je ne suis pas ces spectres qui passent sans soulever ni regard ni vent, pas ces fantômes sans saveur et sans nom. Je suis une poésie sombre dans l’âtre rouillé mais brûlant, je suis une prière qu’on sait vaine; le démon tapis, patient.